Le manteau sur les bras, je me rends à une exposition de Chantal de Hemptinne, comme on part en vacances, ou simplement comme on va au cinéma.
On s'abandonne au charme évident de cette oeuvre brillante, apparemment pas très métaphysique, un art d'une originalité foncière qu'il est difficile d'approcher par les mots, sans tomber dans l'hommage en forme de brouillard culturel, métier rigoureaux, justesse des notations, humour enjoué...
Je connais Chantal depuis longtemps, le personnage et ce qu'elle fait.
J'aime sa vision des choses, à la fois carnivore et de bonne maison, apparement polie, d'un humour aux finalités insolentes, mais la manière est subtile, le crayon si discilpliné, qu'il n'y paraît pas tout de suite. De la belle ouvrage qui dissipera les soupçons. D'ailleurs les floralies et paysages secrets, quelques portraits d'enfants rêveurs, très solidement peints, sont là pour égarer les honnêtes gens.
Où veux-je en venir ?
A son extraordinaire ballet d'images déguisé en surprise party, on s'amuse bien chez elle, ses invités sont ravissantes, il y a des fleurs partout et au milieu de ce feu d'artifice on oublie qu'il s'agit là un art sévère et exigent, confectionné en cils de vierge sortis de l'encrier chinois.
Le trait de plume qui isole de la page blanche le dos émouvant de cette petite danseuse est miraculeux comme un cadeau qu'on attendait plus : depuis quelques temps, les peintres semblaient avoir désappris de nous montrer les femmes et la vie à travers les yeux de la découverte.
Chantal de Hemptinne nous entraine dire bonjour à des gens qu'elle a connus en Italie, à tous les palmiers de Floride ou quelques cactus andalou. Elle veut nous faire rencontrer des singes, nous les présenter, peut-être même, nous présenter à eux.
Elle a toujours eu cette préocupation qui lui tient lieu d'idéologie, montrer des gens, les animaux, des plantes, dans un rapport d'intensité qui ferait oublier la manière personnelle qu'elle a de peindre, alors que c'est le secret de cette intensité.
Elle a le pinceau définitivement affectueux, et, ses singes, ses chiens, vaches et tortues débarquent dans notre vie à titre d'amis. Il y en a d'encombrants, mais dont le regard nous ravire. Ils sont tous redessinés des dizaines de fois en situation, comme des acteurs.
Dans un autre registre, les fleurs, racontées avec maîtrise et légèreté.
Les femmes comme si nous y étions, d'une animalité admirable.
Et des paysages absolus.
Le climat me paraît ici extrêmement sérieux, mais le style n'est pas ostentatoire et tourne raisolument le dos en génie de compétition. C'est pourquoi je parlais d'anti-biénnale. Ce sont ses choix qui éclairent sa discipline et son talent particulier.
Il y a beaucoup de fierté à pratiquer l'humilité absolue devant le sujet, à ne pas désobéir au regard que l'on porte sur les choses, au nom d'un hypothétique imaginaire.
Son secret, c'est la vitalité absolue de la main qui traduit l'oeil qui engloutit le sujet.
Voilà une définition tout à fait ordinaire du génie de peindre.
Jo Dekmine